Rachmaninov : Concerto pour piano et orchestre n°3 en ré mineur op 30 (Pletnev/Slobodeniouk)
Mikhaïl Pletnev interprète le Concerto pour piano et orchestre n°3 en ré mineur op 30 de Rachmaninov avec l’OP sous la direction de Dima Slobodeniouk. Extrait du concert enregistré le 27 septembre 2024 à l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique à Paris.
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« Si j’évoque l’amour de la terre, c’est parce que je l’ai en moi […] Jusqu’à l’âge de seize ans, j’ai vécu sur les domaines de ma mère, puis mes parents ont été déclassés, les domaines ont disparu, vendus, et je suis allé passer les étés sur le domaine de mes cousins Satine. J’y ai passé vingt-huit ans au total, jusqu’au moment où j’ai quitté la Russie (pour toujours ?). J’ai repris ce domaine en 1910. Il se trouvait à trois cents miles au sud-est de Moscou, ce qui fait une nuit de train, et s’appelait Ivanovka. C’est toujours là que j’allais lorsque j’avais besoin de repos, de calme complet, ou au contraire lorsque j’avais un travail exigeant de la concentration. Le calme environnant m’aidait beaucoup […] Ivanovka me manque toujours. Ce n’était pas une de ces beautés de la nature avec des montagnes, des précipices, ou des océans. C’était la steppe, et la steppe est comme la mer, sans limites. Au lieu de l’eau, une immensité de champs de blé, d’avoine, d’un horizon à l’autre. On vante souvent l’air de la mer, mais si vous saviez combien meilleur est l’air de la steppe, avec ses arômes montant de la terre et de tout ce qui y pousse, et sans le roulis ! Sur le domaine il y avait un grand parc avec des arbres plantés, déjà cinquantenaires de mon temps… »
Profitant, chaque été, de ce havre de paix à Ivanovka, Rachmaninov s’était installé depuis 1906 à Dresde pour la saison des concerts, avec son épouse et cousine Natalia. Le couple souhaitait s’éloigner des troubles politiques de Russie, au lendemain de la Révolution de 1905 écrasée dans le sang par le tsar Nicolas II. Après avoir dirigé, à Moscou, le 1er mai 1909, la création de son poème symphonique L’Île des morts, Rachmaninov entama à Dresde la composition de son Troisième Concerto en ré mineur, le poursuivant à Ivanoka en juillet-août, pour le terminer le 23 septembre 1909 à Moscou. Neuf jours plus tard, il s’embarquait pour les États-Unis avec un clavier muet, afin de travailler la partition sur un transatlantique en vue de sa création à New York. Il en fera quelques 11 révisions l’été suivant dans cette campagne isolée d’Ivanovka, ce dont témoigne une merveilleuse photo du musicien attablé au bord d’un champ.
« Le premier thème de mon Troisième Concerto n’est emprunté ni au chant populaire, ni à la musique d’église. Il s’est tout simplement « composé lui-même » ! […] je ne pensais qu’à la sonorité. Je voulais« chanter » la mélodie au piano… et lui trouver un accompagnement adéquat… Rien de plus ! » indique le compositeur, qui laisse à l’interprète le choix entre deux grandes cadences pour ce premier mouvement, la première en date avec une succession d’accords, la seconde (choisie par le compositeur dans son enregistrement) dans un style plus léger de toccata. Construit en forme de thème avec variations, l’Intermezzo central a été conçu dans le même esprit lyrique et nostalgique que le final de « Rach 2 ». Dans sa forme sonate classique, le très virtuose final reprend quelques éléments du premier mouvement, pour renforcer l’unité de l’ensemble. Rachmaninov autorisa d’effectuer quelques coupes dans cette œuvre de presque trois quarts d’heure.
Son succès fut ravivé à partir de 1927, lorsque Vladimir Horowitz s’en empara en concert, et surtout en 1930 avec le succès mondial de son enregistrement, la toute première gravure d’une longue série. « Il s’est jeté sur la musique comme un tigre affamé. Avec son audace, sa bravoure, son intensité, il l’a dévorée tout cru » écrira Sergueï Vassilievitch au sujet de Vladimir Samoïlovitch. Le pianiste polonais Józef Hofmann, à qui l’œuvre est dédiée, déclara qu’elle n’était « pas pour lui », et ne l’inscrivit jamais à son répertoire. Il faut dire que cette partition est techniquement l’une des plus redoutables qui soit. Après une de ses exécutions américaines, un journaliste écrivit : « Monsieur Rachmaninov fut rappelé plusieurs fois par le public, qui insista pour qu’il rejoue, mais il leva les mains dans un geste signifiant qu’il était d’accord pour rejouer mais que c’étaient ses doigts qui ne l’étaient pas. Cela fit beaucoup rire le public qui, à ce moment-là seulement, le laissa partir. »
Avec le Deuxième Concerto, cet opus 30 sera le plus souvent joué des quatre concertos, et la postérité retient une prestation remarquable de Rachmaninov en 1910, accompagné par le New York Philharmonic dirigé 12 par Gustav Mahler. Ce Troisième Concerto est par ailleurs au cœur du film Shine de Scott Hicks, dans lequel Noah Taylor incarne le pianiste David Helfgott aux prises avec cette montagne de virtuosité, face à son maître que jouait le grand acteur shakespearien John Gielgud.
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