L’Orchestre Philharmonique de Radio France interprète la Symphonie n°5 en ré mineur op. 47 de Chostakovitch sous la direction de Mikko Franck.
Durement tancé en janvier 1936 par un éditorial de la Pravda qui dénonçait la « cacophonie » de son opéra Lady Macbeth du district de Mzensk, habité comme beaucoup de ses contemporains par la peur, Chostakovitch décida finalement de garder pour le tiroir son âpre et gigantesque Symphonie n°4 et d’en entreprendre une autre.
Commencée le 18 avril 1837, l’œuvre est écrite rapidement, en trois mois, dans un contexte d’épuration bientôt massive et d’angoisse collective. En juin, le maréchal Toukhatchevski, protecteur de Chostakovitch, est exécuté. En août, c’est le début de la Grande Terreur qui fit en un an près de 750 000 morts et un million de déportés. Dans l’appréhension d’une éventuelle arrestation, le compositeur se couchera, plusieurs mois, entièrement habillé, une petite valise à ses côtés.
Pour échapper aux accusations de « formalisme » (terme servant à désigner un modernisme inacceptable aux yeux des autorités en charge de la culture), Chostakovitch adopte pour sa nouvelle symphonie un langage clair, une structure en quatre parties et une fin « optimiste ». D’après Maxime Chostakovitch, son fils, il conçut l’œuvre sur le modèle des symphonies épiques de Beethoven : un conflit se résolvant en apothéose finale. « La Symphonie n° 5 [de mon père] est son Héroïque ». Le compositeur publia peu après la création de l’œuvre un article qui précisait : « Dans le finale de ma symphonie, j’ai cherché à résoudre les motifs tragiques des premiers mouvements en un projet optimiste et plein de vie. ». Déclaration prudente qui tirait l’œuvre du côté des attentes du pouvoir, en opposition cependant avec le caractère profondément tragique de la partition.
« La fin ne sonne pas du tout comme une solution (encore moins comme une victoire, ou une fête), mais comme un châtiment et une sanction. Ce qui s’exerce ici, c’est une force émotionnelle terrible, mais tragique », nota l’écrivain Alexandre Fadeïev. La force émotionnelle s’impose en effet dans toute la partition, à l’exception de l’ironique Scherzo. Les cordes seules ouvrent le grand Moderato initial, dans un climat désolé. Construit sur une montée progressive de la tension, il culmine sur une marche grotesque. La coda reprend les thèmes avant de conclure, de façon apaisée, sur un solo de violon avec célesta. Le Scherzo qui suit est typique de l’ironie du compositeur, dans le sillage de Gustav Mahler, avec stridences, marches grotesques, parodie de valse. Souvent qualifié de cœur émotionnel de la partition, le vaste Largo tire sa force expressive de ses lignes mélodiques étirées et soutenues, dans une orchestration dépouillée.
Chostakovitch y insère une allusion à Boris Godounov de Moussorgski, en citant le chant de l’Innocent à la toute fin de l’opéra : « Coulez, coulez, larmes amères. Pleure, pleure, âme croyante. Bientôt l’ennemi arrivera et les ténèbres descendront. Les ténèbres des ténèbres, noires et impénétrables. Malheur, malheur de la Russie. Pleure, pleure, peuple russe. » La coda 7 s’achève sur des notes de harpe et, ici encore, de célesta. Le finale, Allegro ma non troppo est d’une énergie implacable – martèlement des timbales, fanfares – qui s’apaise le temps d’un épisode Poco animato introduit par une mélodie du premier cor, pour revenir et culminer dans une fin galvanisante, fortissimo.
À la création, le 21 novembre 1937, le public se leva peu à peu au fil du dernier mouvement. « Tout le monde comprit qu’on était en train d’assister à la naissance d’une grande œuvre philosophique, d’une œuvre profonde empreinte d’une grande souffrance et d’une force immense » relata Valerian Bogdanov-Berezovski. Le public ovationna Chostakovitch plus d’une demi-heure, exprimant sa solidarité avec celui que la Pravda avait vilipendé près de deux ans plus tôt. Le jeune chef Evguéni Mravinski, sur l’estrade, brandissait la partition vers l’assistance.
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